En cette période de vacances, il est de bon ton d'enfoncer des portes ouvertes, alors je m'en donne à coeur joie. Il est temps je pense de définir une fois pour toutes un nouveau paradigme de la photographie. Nous voyons fleurir un peu partout des photographes, mais aujourd'hui, qu'est-ce qu'un photographe ? Suffit-il d'avoir entre les mains ces étranges dispositifs avec plein de boutons et des vitres ? Comme l'habit ne fait pas le moine, l'appareil fait-il le photographe ?

La démocratisation des appareils numériques a vraisemblablement fait monter le sang à la tête de beaucoup de gens, qui d'un coup d'un seul se sont crus investis d'un talent autrefois enfoui et aujourd'hui révélé, comme dans le bon vieux temps on révélait une image sur le papier photo. Mais il subsiste toujours une différence entre "faire une photo" et "faire de la photo". Je ne veux pas ici rentrer dans le débat pour ou contre la retouche numérique, c'est un autre sujet qui ne m'intéresse guère. Ce que je veux mettre ici en exergue, c'est qu'il y a une éthique photographie que je pense les appareils numériques ont aujourd'hui bafoué, livrant l'acte photographique à une déferlante "consommatrico-destructrice". En effet, quoi de pire que de faire une photo en se disant que si elle est ratée, on la recommencera ? Pense-t-on à ce moment-là que l'instant est perdu, que la lumière a changé et que plein de choses ou de gens ont bougé ? Non, la grande majorité des gens n'y pense pas et ne veut pas y penser. Soit.

Mais celui qui aujourd'hui se sent investi de ce talent photographique, lui doit y penser, lui doit avoir cette pensée chevillée au corps comme l'appreil est chevillé à son pied ! Mais pour autant, y pense-t-il, je dirais non dans la grande majorité des cas. L'appareil numérique offre pour un prix plus ou moins modique à tout un chacun le luxe de rater sans en avoir honte ni en payer le prix. Mais ce pacte est diabolique. Il subsistera toujours une différence entre faire une photographie de quelque chose de beau et faire une belle photographie de quelque chose. Céder à la facilité me semble contraire à l'éthique sus-mentionnée. Il doit toujours résider un défi dans l'acte photographique, c'est ajouter quelque chose au réel. Et ce n'est pas à PhotoShop de le faire, ni ce n'était dans le temps jadis aux manipulations de négatifs de le faire. Ces dernières étapes sont des étapes supplémentaires, optionnelles, luxueuses peut-être et à la discrétion de chacun, mais certainement pas indispensables. C'est à l'oeil, l'âme et le corps du photographe de le faire. Et je défendrai ce point de vue jusqu'à ma mort.
J'entendais récemment un photographe de cérémonies qui disait avec une sorte d'indolence qu'il ne prenait plus grande peine à faire ses photos, mais qu'il passait bien plus de temps à les modifier sur tel ou tel logiciel (on vient de me signaler hors antenne que la publicité est interdite. Dont acte !). Il est libre de le faire, mais je n'ai plus envie de l'appeler "photographe". Comme s'il violait une sorte d'implicite code d'honneur.

La société dans laquelle nous vivons nous martèle la tête avec la consommation, avec la facilité, et j'ai le sentiment que les appareils photo numériques sont là parce que c'est plus facile. Moins cher aussi, probablement, mais surtout plus facile. Mais alors quelle est la fierté d'avoir capturé un moment unique quand on a recommencé quatorze fois et qu'évidemment, on n'a pas capturé ce moment unique mais un fade substitut, une pâle copie. Est-ce satisfaisant comme il devient satisfaisant de manger de la nourriture pré-digérée, sans saveur et sans odeur ? Pas pour moi en tout cas.

Je ne prétends pas avoir un tel ou tel talent photographique, mais la photographie me passionne et je reste persuadé que le meilleur moyen de faire de belles images, c'est d'utiliser son oeil et son esprit, pas un logiciel. Et c'est ce que j'essaie de faire. Alors, essayez, vous aussi ! Vous verrez, vous aimerez !

Ligne de mots par l'inénarrable Tigroo :: 00:38